"A son niveau artistique le plus élevé" : voici ce que pensait cette légende du cinéma à propos de ce chef-d'oeuvre de Scorsese noté 4,3 sur 5

© Columbia Pictures
Dans un entretien vidéo, l'immense cinéaste que fut Ingmar Bergman évoque le traitement de la violence dans le chef-d'oeuvre de Martin Scorsese, "Taxi Driver", au coeur d'une polémique suivant la tentative d'assassinat de Ronald Reagan en 1981...
En juillet 2007, le monde du cinéma perdait un cinéaste de légende, un des plus grands et des plus influents du XXe siècle, en la personne d'Ingmar Bergman, à l'âge de 87 ans. Dix ans plus tôt, le Festival de Cannes lui avait décerné, à l'occasion des 50 ans de la manifestation, la "Palme des Palmes", une récompense que le secret Bergman n'était même pas venu chercher, lui qui déclara à la revue Positif en 2001 : "Tout ce qui m'a jamais intéressé, c'est d'accomplir un vrai bon travail d'artisan".
"On savait qu'il y avait un autre niveau à atteindre avec lui"
Martin Scorsese, réalisateur à la cinéphilie absolue, n'a jamais manqué de rappeler à quel point la découverte du cinéma de Bergman a eu une profonde influence sur sa carrière, comme dans le formidable documentaire Trespassing Bergman.
Dans cet extrait, Scorsese souligne l'attente et le défi que chaque nouveau film de Bergman représentait, incitant les cinéastes à aspirer à un niveau supérieur; décrivant aussi les films de Bergman comme une conversation continue avec lui-même et avec son entourage, dont les thèmes restent pertinents aujourd'hui.
"Chaque fois qu'un film de Bergman sortait, ce qui était très fréquent, on savait qu'il y avait un autre niveau à atteindre avec lui, là où il allait vous emmener. [...] vous saviez qu'il y avait quelque chose de spécial que vous alliez voir, et cela allait vous provoquer créativement, surtout si vous décidiez de commencer à faire vos propres films. L'influence majeure, je dirais, était l'inspiration d'un Bergman, l'ouverture de mon esprit [avec ses films], en vous faisant sentir que tout est possible".
"Ce film évoque la violence à son niveau artistique le plus élevé"
Si Bergman n'a pas hésité à balancer quelques torpilles sur certains confrères, comme Jean-Luc Godard, dont il trouvait les films "complètement morts, inintéressants cinématographiquement parlant, et infiniment ennuyeux", ou même Citizen Kane d'Orson Welles, qu'il trouvait "d'un ennui barbant" et dont "les performances des acteurs ne valent rien", il louait au contraire la singularité de l'approche de Scorsese dans ses oeuvres, en particulier dans Taxi Driver.
Dans une interview, une journaliste lui demande ce qu'il pense de la polémique autour de la violence du film, et du traitement de la violence dans les films, en écho à la tentative d'assassinat survenue le 30 mars 1981 contre Ronald Reagan.
L'auteur des tirs était un certain John Warnock Hinckley, Jr. Touché au poumon et au flanc gauche, Reagan n'a échappé que de peu à la mort. Dans l'enquête qui a suivi, les policiers américains ont découvert la fascination du tireur pour le film Taxi Driver de Martin Scorsese. Et plus particulièrement encore pour le personnage d'Iris, la prostituée adolescente incarnée par Jodie Foster.
Bergman établit une démarcation claire entre une violence qui a une valeur artistique et une violence qu'il qualifie de "sale" et "pornographique", qu'il rejette comme n'ayant aucun lien avec le travail artistique.
"Vous savez, dans toute forme d'art aujourd'hui, il y a de l'agression et de la violence. Parfois, l'agression et la violence sont propres, et parfois elles sont sales, une sorte de violence pornographique. Je ne parlerai pas de violence pornographique parce que je pense que cela n'a rien à voir avec le travail artistique.
Je pense que le film de M. Scorsese, Taxi Driver, est un film sur la violence au plus haut niveau artistique. Et s'il y a un lien entre la situation de M. Reagan et ce film, je pense que l'artiste ne peut en être tenu responsable, car partout dans le monde, il y a des gens qui utilisent l'art de la mauvaise manière".
La question de la déresponsabilisation de l'artiste face à une mauvaise interprétation ou utilisation de son œuvre n'est, du reste, jamais totalement tranchée, et continue toujours d'alimenter les débats.
publié le 1 mai, Olivier Pallaruelo, Allociné