"Après ce film, plus personne ne pourra regarder le Disney comme avant" : The Ugly Stepsister va ruiner vos souvenirs d'enfance

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À 34 ans, la réalisatrice norvégienne Emilie Blichfeldt a fait sensation avec son tout premier film, "The Ugly Stepsister", relecture horrifique du conte de Cendrillon. AlloCiné est allé à sa rencontre.
Quand The Ugly Stepsister est présenté en avant-première au Festival de Sundance, en janvier 2025, un membre du public se penche dans l'allée du cinéma pour vomir. La carrière du film d'Emilie Blichfeldt, Norvégienne de 34 ans, est lancée et bénéficie, comme d'autres chocs récents, d'une réputation déjà sulfureuse.
Ce long métrage approche le conte de Cendrillon à travers un nouveau regard : celui d'une des deux demi-sœurs prête à tout pour rectifier son apparence et attirer le regard du prince. Commence alors un véritable cauchemar pour Elvira (Lea Myren), bien décidée à s'infliger toutes les souffrances pour être la plus belle du château.
On pense bien sûr à The Susbtance de Coralie Fargeat, body horror nommé à cinq reprises aux Oscars, mais The Ugly Stepsister impose sa propre identité grâce au talent de sa jeune cinéaste.
AlloCiné : Voilà plusieurs mois que The Ugly Stepsister fait le tour des festivals. Comment vous sentez-vous après avoir parcouru tant de pays ?
Emilie Blichfeldt, scénariste et réalisatrice : C'est vraiment un rêve qui devient réalité. Je travaille sur ce film depuis huit ans et dès le jour où j'ai eu l'idée, je me suis dit : "Je pense tenir une vraie bonne idée, une perspective que nous n'avons jamais abordée auparavant." Et maintenant, le film est vendu dans le monde entier, dans tous les territoires.
Au départ, mon producteur ne savait pas ce qu'était le "body horror". Il m'a dit qu'on ne pouvait pas le vendre comme ça. Mais ensuite, The Substance est sorti l'année précédente et a vraiment ouvert la voie à ce film.
Ce qui est formidable dans l'accueil réservé à Substance et ailleurs ensuite, c'est que cela montre à quel point le public a soif de nouvelles histoires. Nous sommes tellement lassés des autres récits auxquels nous sommes exposés quotidiennement dans les publicités et sur les réseaux sociaux. Il nous disent que c'est notre devoir de souffrir pour être beaux et d'acheter ces produits. Ils appellent cela des produits de beauté, mais je n'aime pas cette appellation, je préfère parler de produits d'apparence, car la beauté, c'est quelque chose que je possède. Eux, non.
De quelle manière ce film est personnel ?
Quand j'étais adolescente, je me sentais très seule et j'avais des problèmes avec mon corps. Cette demi-sœur dans le film, c'est moi. J'ai également réalisé qu'il n'y a qu'un seul idéal, et que nous autres, nous nous efforçons de nous adapter à un modèle prédéfini. Nous sommes tous cette demi-sœur après tout. Il y a un caractère universel dans ce film.
Est-ce difficile de faire un film d'époque pour une première réalisation ?
Je pense que réaliser un film aussi ambitieux pour son premier film, quand on a la chance d'avoir un excellent producteur comme moi, peut être un cadeau. Cela oblige à prendre en compte tous les aspects de la réalisation. Ce n'est pas comme si vous réalisiez un film réaliste contemporain avec un budget beaucoup plus modeste, où vous n'avez peut-être pas le temps ni les ressources nécessaires pour vous demander si telle chaise est la bonne.
En construisant un univers dans ce sens, j'ai aussi compris que j'adore créer des univers et que tous mes projets tournent en grande partie autour de cela. J'ai eu beaucoup de chance d'être entourée de personnes formidables pour les costumes et les décors.
Toutes les interventions esthétiques sont basées soit sur des procédures réelles, soit sur des rumeurs D'ailleurs, les costumes ressemblent beaucoup à ceux du film de Disney.
J'ai conservé les mêmes silhouettes pour la demi-sœur et pour Cendrillon au bal. Je voulais vraiment utiliser ces silhouettes pour détourner le lien qu'ont les spectateurs au film d'animation. Après ce film, plus personne ne pourra regarder le Disney comme avant.
La jeune actrice Lea Myren est impressionnante.
Cette fille, c'est un cadeau du ciel. J'ai passé beaucoup de temps à auditionner des filles âgées de 18 à 25 ans, et je pensais trouver quelqu'un qui aurait des problèmes similaires à ceux d'Elvira ou qui manquerait un peu d'assurance. Mais aucune de ces filles n'avait la force dont j'avais besoin pour le personnage. Il faut avoir de la force pour être aussi amoureuse d'un prince, y croire vraiment, puis devenir complètement folle.
Un jour, Lea est arrivée. Elle avait joué dans quelques séries télévisées en Norvège, mais c'était son premier grand rôle. Je pensais qu'elle était peut-être un peu trop rigide dans l'un des rôles où je l'avais vue, où elle était pourtant excellente, mais je ne savais pas de quoi elle était capable. Et puis elle a tout de suite saisi l'opportunité. Elle n'avait pas peur de jouer avec son visage très expressif, d'être drôle, vulnérable.
On voit quelques outils de chirurgie esthétique dans le film. Ils rappellent ceux du film Faux-semblants de David Cronenberg. J'aimerais savoir si vous avez conçu les outils spécialement pour le film ou si vous vous êtes inspiré d'outils réels utilisés autrefois ?
j'ai fait les deux. Toutes les interventions esthétiques sont basées soit sur des procédures réelles, soit sur des rumeurs. L'intervention sur les cils est une procédure dont on parle beaucoup, mais je trouvais ça génial. Cela nous rappelle aussi l'obsession que nous avons encore aujourd'hui pour les cils et ce genre de choses. Ensuite, pour les outils, par exemple le ciseau, c'est un outil qui était utilisé par les premiers chirurgiens esthétiques, car ils étaient très influencés par les idéaux de la Grèce antique et les statues, et ils se considéraient comme des sculpteurs qui façonnaient la beauté.
Considérez-vous The Ugly Stepsister comme un film politique ?
Oui bien sûr, la beauté est politique. Quand on regarde, par exemple, la Corée du Sud, où la chirurgie esthétique est devenue très acceptable dans la société. Les gens contractent des emprunts pour se faire opérer afin de trouver un emploi, car si vous n'avez pas un certain physique, vous ne trouverez pas de travail. C'est donc aussi une question de classe sociale, dans une large mesure. Et je pense que c'est profondément problématique.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, en juin 2025
The Ugly Stepsister, actuellement au cinéma
publié le 2 juillet, Thomas Desroches, Allociné