"C'est lui qu'il me faut !" : dans Kingdom of Heaven de Ridley Scott, cet acteur est LA révélation du film

© 20th century Fox
Kingdom of Heaven" est servi par un fabuleux casting, au milieu duquel émerge celui qui est sans doute LA révélation du film. L'acteur syrien Ghassan Massoud, qui livre une extraordinaire composition sous les traits de Saladin.
"J'ai toujours eu les croisades dans la peau. C'est une période de l'Histoire que j'adorais à l'école, car elle est pittoresque et tourmentée. Enfant, j'étais bien sûr moins attiré par la politique et la religion, que par le côté cow-boy de la chose, la beauté des armures, la violence des combats à l'épée. Et je considérais, comme tout le monde sans doute, que les Musulmans étaient les méchants".
C'est en ces termes que Ridley Scott évoque ses lointains souvenirs d'un projet encore en devenir dont on célèbre cette année les 20 ans de la sortie : Kingdom of Heaven. On peut le dire sans trembler : ce film, en tout cas dans sa fabuleuse version Director's Cut qui modifie en profondeur l'intrigue en lui donnant une dimension nettement plus politique, est l'un des meilleurs jamais réalisés par le cinéaste.
Un acte de courage dans un contexte géopolitique troublé
Mettre en oeuvre un film comme Kingdom of Heaven était même une forme d'acte de courage à l'époque. L'Amérique était alors en pleine "guerre contre la terreur", selon la formule consacrée, dans le sillage des attentats du 11 septembre 2001. En 2003, ce fut l'invasion en Irak, qui se juxtaposait avec la guerre en Afghanistan.
C'est dire si le sujet de Kingdom of Heaven était hautement inflammable, en particulier vis-à-vis du monde arabo-musulman, au regard d'un tel contexte géopolitique. Au bout du compte, ce sera un examen attentif d'un conflit sanglant de religions au temps des croisades, brillamment écrit par la plume experte et ultra documentée de William Monahan.
"Je ne suis pas de ces hommes-là, moi. Je suis Saladin ! Ṣalāḥ ad-Dīn !"
"Ridley était déterminé à prendre des Arabes pour jouer des Arabes. Il ne voulait pas de réactions brutales parce que ça n'aurait pas été authentique" raconte Debra Zane, directrice de casting du film. "On a prospecté à Paris. L'un de nous avait un contact en Egypte.
Je me rappelle avoir reçu un e-mail d'une collègue qui venait d'entendre parler du tout premier film réalisé au Yemen, et qui allait se renseigner sur les acteurs. Les acteurs qu'on a eus sont formidables. Alexander Siddig, qui joue Imad, est assez connu, si on est assez attentif. Mais l'acteur qui joue Saladin est un acteur célèbre en Syrie, mais certainement inconnu du public américain et du public mondial".
Si le casting de Kingdom of Heaven est exceptionnel, tout entier au service de son récit, c'est sans doute celui qui incarne Saladin, le principal antagoniste du film, qui se hisse sensiblement au-dessus de la mêlée. Le personnage est incarné par un extraordinaire Ghassan Massoud, qui livre une admirable composition, toute en nuance.
Respectueux de ses adversaires, en particulier du roi lépreux Baudouin IV à qui il envoie même ses médecins pour le soigner, il est réputé pour sa magnanimité, le respect de sa parole et son sens de l'honneur. L'opposé exact et absolu de fanatiques comme Guy de Lusignan (Marton Csokas) ou le soudard Renaud de Châtillon (Brendan Gleeson), qui finira par payer de sa vie un énième affront fait à Saladin. Ṣalāḥ ad-Dīn, un nom qui signifie "la rectitude de la Foi".
On se souvient de cette puissante scène, où Orlando Bloom, alias Balian, négocie avec Saladin la reddition de Jérusalem. Mais s'inquiète d'une vengeance des sarrazins contre les chrétiens et les chevaliers; ceux-là même qui n'avaient, eux, pas hésité à massacrer tous les musulmans lors de la prise de la ville. "Je ne suis pas de ces hommes-là, moi. Je suis Saladin ! Ṣalāḥ ad-Dīn !"
"C'est lui qu'il me faut !"
"Ridley a réfléchi à beaucoup d'acteurs, pas forcément anglais. Il regardait des films ou des téléfilms arabes, et il observait simplement le visage des gens, parfois même sans les auditionner" se souvient Lisa Ellzey, productrice du film. "Chaque fois, il disait non. Il savait ce qu'il voulait. Quelqu'un d'élégant, d'intelligent, de sage et de réfléchi. Dès qu'il a vu les images de Ghassan, il a dit : "c'est lui". Je crois même qu'il n'a rien dit d'autre que "c'est lui qu'il me faut".
"Avec son physique de vizir dans un conte de Walt Disney - cheveux de jais, figure oblongue, silhouette agile, nez busqué, barbe en collier et yeux charbonneux -, il correspond plus à l'archétype du méchant arabe tel que généralement présenté dans le cinéma hollywoodien. Mais voilà. Ridley Scott a voulu qu'il incarne Saladin, ce conquérant d'origine kurde, fin stratège, connu aussi pour ses capacités de dialoguer avec l'ennemi" écrivait le site L'Orient - Le jour, qui s'était entretenu avec Ghassan Massoud à l'occasion de la sortie du film.
Et de raconter comment il était arrivé sur le casting du film de Scott; lui qui fit aussi l'objet de vives critiques de la part de confrères et concitoyens en acceptant ce rôle, accusé d'infidélité à ses origines. "Ces médiseurs ne connaissent pas Ghassan Massoud. Il ne pouvaient pas savoir que je ne pourrais jamais participer à un film contraire à mes principes. Aujourd'hui, ils peuvent juger le résultat final".
"Ce geste montre la tolérance du personnage"
"Après de longues semaines de discussions, une amie de Londres a réussi à me persuader de présenter ma candidature au casting du film" raconte-t-il. À l'issue de la première sélection, il se rend en Espagne pour rencontrer le réalisateur. "Au début, j'étais subjugué par la réputation et le halo dont Scott s'entourait. Mais la glace a été vite rompue et l'on a passé deux heures à discuter de théâtre et de grands dramaturges anglais".
Très érudit sur le personnage qu'il incarne, il est même arrivé que Ghassan Massoud fasse des suggestions à Scott et au scénariste du film. C'est lui qui a eu cette superbe idée, à la fin du film, où, lorsque Saladin reconquérant Jérusalem entre dans le palais royal, de rajuster sur son piédestal une croix tombée par terre. "Ce geste montre la tolérance du personnage" dit le comédien dans l'entretien. Une extraordinaire composition disions-nous plus haut, pour un film mémorable.
publié le 24 mai, Olivier Pallaruelo, Allociné