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"Il avait la dent dure" : il y a 31 ans, Jacques Audiard travaillait avec cet immense acteur réputé difficile

© GOFF INF / BESTIMAGE

Dans un entretien en 2017, Jacques Audiard évoquait ses débuts en tant que réalisateur sur son premier long, "Regarde les hommes tomber". Et de raconter sa collaboration avec Jean Yanne, un acteur monstre et génial, mais aussi réputé difficile...

"Je ferai du cinéma quand j'aurai tout raté" disait récemment Jacques Audiard à propos de sa jeunesse, passée à l'ombre d'un monstre absolu du cinéma français : Michel Audiard. Pas facile de trouver sa place et d'imprimer sa marque lorsqu'on a un père devenu une véritable statue du commandeur dans le 7e Art, dialoguiste et scénariste incontournable depuis les années 50..

Réputé assez taiseux en interview, Jacques Audiard s'est pourtant prêté à l'exercice dans un long entretien publié en 2017 dans le toujours formidable mook n°21 de Schnock, dont le dossier (et la couverture) était justement consacré à son illustre père. L'occasion pour lui de convoquer divers souvenirs à son propos bien sûr.

"Enfant, j'ai toujours vu mon père travailler. Même si sa vie était chargée de plein d'autres choses, je l'ai toujours vu travailler. Je le voyais tous les matins à son bureau à 8h... Quand il avait des lunettes de soleil, c'est probablement que la nuit avait été compliquée..." confie-t-il dès le début de l'entretien.

"Il avait la dent dure"

Jacques Audiard balaye sa propre carrière, rappelant son travail avec lui, ses débuts de scénariste dans les années 80. Et, bien sûr, ses débuts en tant que réalisateur, avec le film Regarde les hommes tomber, dans lequel il dirige Mathieu Kassovitz face à Jean Yanne. Ce dernier était notoirement connu pour avoir un tempérament difficile, fort en gueule. Exercice périlleux d'avoir un tel ogre du cinéma devant sa caméra pour son premier film..

"J'adorais Jean Yanne. Mais deux choses : je n'aime pas ce cinéma qui est très cynique, qui va essayer de prouver son intelligence d'une drôle de façon" commente Audiard. Une allusion aux films réalisés par Jean Yanne, dont il est peu client. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, une satire sur le petit monde de la radio; Moi y'en a vouloir des sous (1973) et le milieu de la politique; celui du spectacle dans Chobizenesse (1975); ou encore celui de la télévision dans Je te tiens, tu me tiens par la barbichette (1978).

Audiard poursuit : "en revanche, Jean Yanne est un acteur et un personnage extraordinaire. J'ai adoré cet homme. Il faut revoir les films de Chabrol, il y est éblouissant. Il m'a vraiment étonné dans le travail. On le dirigeait comme on déplace un meuble. Il ne supportait pas tout ce qui était de l'ordre du psychologique, du raisonnement ou du sentiment. Une sorte de pudique atrabilaire.

Il avait la dent dure. Il était vachard. Je me souviens du récit de son aventure avec Pialat, c'était vraiment méchant... Il n'arrêtait pas [d'en parler]. Le drôle de l'histoire, c'est que j'ai eu le droit à la version de Maurice des années plus tard. Les mêmes mots. La même rancoeur...."

Ils ne vieilliront pas ensemble

Audiard fait allusion aux relations très tendues entre Yanne et Maurice Pialat sur le tournage de Nous ne vieillirons pas ensemble, en 1972. Un an auparavant, Pialat publie un livre, Nous ne vieillirons pas ensemble, où il évoque, sans romance, ses amours contrariés. Il décide d'adapter ces pages à l'écran. Pour interpréter son double au cinéma, Maurice Pialat choisit donc Jean Yanne.

Les deux ne se supportent pas devant et derrière la caméra, tandis que Marlène Jobert joue les intermédiaires entre les deux. Yanne quitte aussi régulièrement le plateau pour se rendre au chevet de sa femme, atteinte d'un cancer du poumon, et qui décèdera l'année de la sortie du film. Auréolé d'un Prix d'interprétation masculine au festival de Cannes, Jean Yanne ne viendra même pas chercher son prix...

publié le 11 avril, Olivier Pallaruelo, Allociné

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