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"J'ai repoussé le moment"... Il y a 47 ans, Spielberg avait convaincu cette légende du cinéma de jouer dans son chef-d'oeuvre de la science-fiction

© GOFF INF / BESTIMAGE

Souvenez-vous de François Truffaut dans "Rencontres du troisième type" de Steven Spielberg : entre les deux réalisateurs, il y a tout un monde et pourtant, ils ont trouvé un accord commun. Retour sur une collaboration devenue emblématique.

Le réalisateur français acclamé François Truffaut n'a jamais eu peur de s'aventurer dans d'autres domaines du monde du cinéma, jouant ainsi dans plusieurs de ses propres films. De manière totalement inattendue, il a également joué un rôle secondaire clé dans l'inoubliable film de science-fiction de Steven Spielberg, Rencontres du troisième type.

Pour rappel, dans le film, Truffaut joue un scientifique spécialiste des OVNI qui travaille pour le gouvernement français aux États-Unis dans le but de traquer les activités extraterrestres. Le réalisateur n'avait jamais joué dans aucun autre film que les siens, mais Spielberg savait qu'il le voulait pour le rôle dès le début - même si au préalable, des acteurs comme Lino Ventura, Jean-Louis Trintignant, Gérard Depardieu ou encore Philippe Noiret avaient été envisagés pour le rôle de Claude Lacombe.

Mais pourquoi Truffaut ? Au-delà de pouvoir rendre hommage à un cinéaste qu'il vénérait, Spielberg, avait aussi une admiration pour l'acteur Truffaut, comme le rappelle Première. "Il y a une grande part d'innocence et de pureté dans ses films, une sensibilité d'homme-enfant. Et Truffaut ressemble à ses films !" Le thème de l'enfance étant très cher au réalisateur américain, c'était lui qu'il voulait pour le rôle.

"Truffaut était mon premier choix depuis le début, mais je n'ai pas eu le courage de lui téléphoner et de demander au grand réalisateur français s'il voulait jouer dans le film de ce nouveau venu", a déclaré Spielberg à Sight and Sound en 2021. "J'ai repoussé le moment."

Lorsque le réalisateur a finalement eu le courage d'appeler son idole, en février 1976, il a été surpris lorsque Truffaut a accepté le rôle. "Il a dit oui pour diverses raisons. Je ne pense pas particulièrement parce qu'il aimait ou comprenait bien le scénario, mais parce que le timing était bon."

De son côté, François Truffaut s'est souvenu de l'appel : "Au bout du fil, Steven Spielberg. Il préparait un film sur les soucoupes volantes et il me destinait le rôle de Claude Lacombe, un savant français" (via Première). Il se dit alors que le rôle ne lui demandera pas trop de travail. L'incroyable collaboration peut alors commencer.

François Truffaut, acteur

Lorsque François Truffaut, qui aimait le travail de Spielberg, a accepté le rôle, il a tout de même prévenu son collègue : "Je ne suis pas un acteur, je ne peux jouer que moi-même." Spielberg lui a alors répondu que c'était exactement ce qu'il voulait, et Truffaut a alors signé pour un salaire de 75 000 dollars. Et la collaboration a porté ses fruits puisque ce dernier, ayant un profond respect pour son jeune homologue américain d'à peine 30 ans pour son calme, sa patience et sa bonne humeur, a fini par avouer que malgré son manque relatif d'expérience devant la caméra, Spielberg l'avait aidé : "Plusieurs fois pendant le tournage, m'a fait sortir de moi-même. Grâce à cela, j'ai découvert un réel plaisir en tant qu'acteur".

Il a ajouté : "Face à des difficultés écrasantes et à d'innombrables complications qui, je pense, auraient découragé la plupart des réalisateurs, la persévérance et le courage de Steven Spielberg ont été tout simplement incroyables."

Ne parlant pas très bien anglais, l'acteur François Truffaut avait une astuce pour tourner certaines scènes : il collait des bouts de papier sur lesquels il avait écrit son texte, sur des objets, de manière à pouvoir le lire sans que la caméra ne le capte. Dans une scène, alors qu'il discute face à face avec un officier de l'armée (qui tourne le dos à la caméra), il lisait son texte sur une carte épinglée sur la poitrine de l'homme !

Mais Spielberg a finalement accepté qu'il parle français dans la version originale et que le personnage de David Laughlin, l'assistant de Claude Lacombe joué par Bob Balaban, traduise ses propos. Ainsi, dans la version originale, Truffaut n'a que deux ou trois répliques en anglais. C'est aussi pourquoi la version française est parfois étrange, Laughlin ne faisant que paraphraser les dires de Lacombe, ou même parler en même temps que lui.

Un côté enfantin

Steven Spielberg justifiera plus tard son choix d'acteur en disant qu'il avait "besoin d'un homme qui aurait l'âme d'un enfant quelqu'un de bienveillant, de chaleureux, qui pourrait totalement admettre l'extraordinaire, l'irrationnel" (via Télérama). Pour lui, cet homme était Truffaut.

Dans le livre Spielberg, Truffaut & me, Bob Balaban partagera plus tard quelques anecdotes qui confirmeront cela, comme par exemple la fois où, tournant la scène du départ du vaisseau spatial, Spielberg a pris le duo à part.

"Il dit à Truffaut de continuer à être émerveillé par tout ce qui se passe. Il dit que c'est très important que Truffaut paraisse chaleureux et amical tout au long de la séquence. Les réactions du public vis-à-vis des extraterrestres seront largement déterminées par celles de Truffaut. Il veut que Truffaut pense aux extraterrestres comme à des enfants. Il sait à quel point Truffaut aime les enfants", a déclaré Balaban.

Truffaut, un peu mal à l'aise

François Truffaut a tourné la plupart de ses scènes dans le grand stade construit par le décorateur Joe Alves qui avait également travaillé sur Les Dents de la Mer avec Spielberg plusieurs années auparavant et était bien équipé pour donner vie à ses visions grandioses. Mais Truffaut, lui, était habitué à des décors plus intimes. Le cinéaste français était donc comme un poisson hors de l'eau sur le tournage, n'étant pas habitué à jouer dans des productions d'une telle ampleur. L'environnement lui était si étranger qu'il n'était apparemment pas du tout impressionné par le décor, selon l'ouvrage Close Encounters... The Ultimate Visual History.

Mais il y avait cependant un décor plus modeste où Truffaut se sentait chez lui : la chambre de motel couverte de ses croquis de la Devils Tower : "Il marchait sur cette petite structure à trois murs", s'est souvenu Alves, "et il s'est dit : 'Ça, c'est un studio !' C'était le genre de décor auquel il était habitué dans ses propres films. Il aimait l'intimité."

Au bout d'un moment, François Truffaut a aussi fini par trouver le tournage de la superproduction long et fatigant, et a été frustré de ne pas pouvoir continuer son travail de réalisateur. Il a ainsi pris conscience de la réalité hollywoodienne, en faisant remarquer à l'actrice Teri Garr que pour les 250 000 dollars que coûte une seule prise de vue en hélicoptère, il pouvait réaliser un film entier.

Spielberg et Truffaut avaient en effet des sensibilités cinématographiques très différentes, mais Spielberg appréciait le goût esthétique dépouillé de Truffaut. "Il est incroyable parce qu'il est si simple. Il est aussi simple que ses films", a-t-il déclaré à l'American Film Institute. De son côté, Truffaut n'a jamais marché sur les plates-bandes du réalisateur pendant le tournage. "Il faisait des suggestions de temps en temps, et je voulais qu'il en fasse plus, mais il les faisait quand il se sentait à l'aise", a admis le réalisateur de Jurassic Park. Truffaut a finalement respecté Spielberg et ses décors massifs, même s'il préférait un cadre plus intimiste, et la collaboration a été au sommet.

Rencontres du troisième type est à retrouver en VOD.

publié le 23 février, Aude Mackau, Allociné

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