"J'ai toujours adoré ce qui faisait peur" : le Stephen King japonais nous parle de ses inspirations

© Art Port
Invité d'honneur de la Japan Expo 2025, rencontre avec le maître de l'horreur japonais et mangaka de légende, Junji Ito !
De sa Spirale envoûtante, au double visage de Tomie, en passant par les poissons mutants de Gyo, l'imaginaire de Junji Ito ne manque jamais de marquer ses lecteurs. Considéré, à juste titre, comme le maître du manga d'horreur, ce dessinateur hors pair au trait si singulier, est devenu une véritable référence dans son domaine.
Bercé par les histoires horrifiques de H.P Lovecraft et Kazuo Umezu, Junji Ito a écrit et dessiné plus d'une trentaine d'oeuvres depuis ses débuts dans les années 90 et compte désormais parmi les mangakas les plus connus à l'internationale.
Le temps d'une interview, ce génie de l'horreur s'est confié à notre micro sur sa carrière, à l'occasion de la Japan Expo 2025.
L'horreur comme premier amour
Junji Ito s'amourache très jeune du genre horrifique grâce aux oeuvres de Kazuo Umezu : "Je lisais ses mangas avant même d'entrer à l'école primaire", nous raconte-t-il. "Je les interprétais, les mimais. J'ai toujours adoré ce qui faisait peur. Ce sont ses histoires qui m'ont donné envie d'écrire et de dessiner les miennes."
Mais si Kazuo Umezu a fait naître cette passion pour l'étrange et le malaise, il n'est pas le seul grands maîtres de la littérature qui accompagne Junji Ito durant son enfance et adolescence. "Mes influences sont nombreuses. Je citerai notamment H.P Lovecraft, mais aussi Yasutaka Tsutsui. Et ce n'est pas de l'horreur, mais j'admire beaucoup le travail de Katsuhiro Otomo, l'auteur de "Akira"", avoue-t-il.
Pourtant, c'est en tant que chirurgien dentiste que Junji Ito entre dans la vie active. "En parallèle, et pendant près de dix ans, j'ai continué à dessiner pour une revue mensuelle spécialisée en horreur. Des histoires principalement destinées à un public jeune et féminin." Des piges qui alimentent sa passion et l'enjoignent à quitter le milieu médical au début des années 90.
Ses propres peurs comme inspirations
Si ces personnages, monstres et autres créatures mystérieuses sont diverses et uniques en leur genre, toutes ses oeuvres restent liée par une seule et même angoisse : l'inconnu. "L'être humain est naturellement terrifié par ce qu'il ne comprend pas. La peur naît de l'incompréhension. C'est pour ça que le surnaturel fonctionne tout particulièrement."
Plus spécifiquement, Junji Ito reconnaît avoir une fascination morbide pour les Doppelgänger, thématique récurrente dans sa bibliographie : "Il y a une légende urbaine qui dit que si vous croisez votre double, vous allez bientôt mourir. Mes mangas qui traitent de ce sujet sont les plus représentatifs de ce que je suis, car j'ai moi-même une espèce de rejet, de peur de toutes ces parties de moi que je ne peux pas juger objectivement. Tomie en est un exemple."
Tomie, devenue un personnage iconique de la littérature japonaise devient d'ailleurs le premier manga de Junji Ito a être adaptée en long-métrage en 1999.
Du papier à l'écran
Avec plusieurs millions de lecteurs à travers le monde, fascinés, il faut à peine une décennie pour voir un premier long-métrage transposé l'univers de Junji Ito au cinéma. Un exercice d'adaptation difficile à juger de son point de vue : "Voir mes personnages interprétés par des personnes réelles les rend très différents de ce qu'ils sont dans mes mangas," révèle l'auteur. "Mais je sais qu'on ne peut rien y faire, alors je laisse le réalisateur gérer et s'éloigner du matériel d'origine. S'il est talentueux, le film sera bon dans tous les cas."
Une appréhension que le maître ne ressent cependant pas lorsqu'il s'agit d'animes, mieux adapté à son trait et à sa manière de montrer l'horreur. "En animation, ce n'est pas le même ressenti. "Junji Ito : Collection", "Maniac", ou même "Crimson" qui vient d'entrer en phase de production, sont toutes des adaptations qui ont capté l'essence de mes mangas et je trouve le résultat formidable."
Investi dans ces diverses productions, Junji Ito nous révèle le nom du réalisateur a qui il aurait volontiers confié ses écrits pour le cinéma : "J'aurais adoré que William Friedkin adapte mon travail. Je suis fan de l'Exorciste, c'est un film qui m'a beaucoup influencé. J'ai été attristé par son décès. Mais, je peux aussi citer Dario Argento (Suspiria) avec qui je rêverais de collaborer."
En attendant de découvrir l'adaptation cinématographique de la nouvelle Bloodsucking Darkness prévue prochainement, vous pouvez retrouver les oeuvres de Junji Ito en version papier aux éditions Mangetsu et Delcourt/Tonkam, ainsi que leurs versions animées sur Crunchyroll et Netflix.
Propos recueillis par Manon Maroufi à l'occasion de la Japan Expo 2025, le jeudi 3 juillet au Parc des Expositions de Villepinte.
publié le 4 juillet, Manon Maroufi, Allociné