"Je répétais pour rester en vie" : le tournage de ce chef-d'oeuvre fait passer celui des Dents de la mer pour un pique-nique !

© Bac Films
Sorti en 1977,"Sorcerer" de William Friedkin est un sommet artistique du cinéaste, qui sera hélas un cuisant échec commercial. Le film est aussi notoirement connu pour avoir été un véritable enfer à tourner, comme l'expliquait Roy Scheider...
Trois hommes de nationalités différentes, un gangster américain (Roy Scheider), un banquier français (Bruno Cremer) et un terroriste palestinien (Amidou), chacun recherché par la police de son pays, s'associent pour conduire un chargement de nitroglycérine à travers la jungle sud-américaine, afin de stopper l'incendie d'une exploitation pétrolière.
La cargaison hautement explosive est uniquement transportable par voie routière, expédition qui relève de la mission suicide. Mais les trois aventuriers ont désespérément besoin d'argent pour quitter ce lieu infernal... Un quatrième homme (Francisco Rabal), tueur à gages lui aussi en fuite, les rejoint au dernier moment dans ce dangereux périple...
Si Henri-Georges Clouzot, au sommet de son art, avait livré en 1953 sa propre odyssée funeste avec Le salaire de la peur, le regretté William Friedkin marchait dans ses pas 24 ans plus tard avec Sorcerer.
Un extraordinaire film que nombre de cinéphiles trouvent d'ailleurs supérieur à son modèle d'origine, déjà fabuleux. Entre désillusion et rédemption, ou même absence de rédemption, le film de Friedkin est une relecture pessimiste et viscérale du classique de Clouzot, porté à un point d'incandescence jamais atteint.
"Le film est devenu une obsession"
"Le film est devenu une obsession. Ce devait être mon magnum opus, celui sur lequel je mettrais ma réputation en jeu. J'avais l'impression que chaque film que j'avais fait, c'était la préparation pour celui-ci" dira des années plus tard Friedkin.
Sorcerer est notoirement connu pour avoir été un véritable enfer à tourner, entre problèmes logistiques majeurs (notamment la construction d'un pont qui s'est retrouvé sans eau), des maladies (Friedkin lui-même a contracté la malaria), d'énormes tensions créatives, budget de production explosé nécessitant une coproduction entre deux studios (Universal et Paramount) et même la noyade accidentelle de deux soldats. Dix mois de tournage en enfer, notamment en République Dominicaine. "Presque tout ce qui pouvait mal tourner physiquement a mal tourné" déclarait Friedkin, dans une interview accordée au magazine Sight & Sound, en décembre 2017.
"Je répétais pour rester en vie"
Roy Scheider ne dira pas autre chose de cette éprouvante expérience, dans un entretien accordé au New York Times en janvier 1977 : "ce que j'ai fait dans Sorcerer fait ressembler Les Dents de la mer à un pique-nique". Et, plus tard : "Je répétais pour rester en vie... [...] Donc, ce que vous voyez dans le film est exactement ce qui s'est passé.
Quand je prends une route de montagne sur deux roues, sur une route avec des nids-de-poule de la taille de cratères d'obus, c'est comme ça que c'était. Personne d'autre que Billy Friedkin n'aurait pu me persuader de prendre les risques insensés que j'ai pris. Mais quand c'était fini et que j'ai regardé les images brutes, j'ai su que ça en valait la peine".
Un cuisant échec au box office
Si Sorcerer est unanimement reconnu aujourd'hui comme un chef-d'oeuvre, le film a pourtant été un terrible échec au box office, notamment en raison de la concurrence féroce d'un rouleau compresseur d'une toute autre nature sorti la même année. Un certain Star Wars...
Pour situer le niveau du désastre, il n'a rapporté qu'un peu plus de 12 millions de dollars. Même pas de quoi couvrir son budget de production, sensiblement supérieur à 22 millions $.
Mais il fut aussi démoli par la critique de l'époque. "Il y avait un grand critique de cinéma pour le Los Angeles Times, Charles Champlin, qui avait toujours donné à mes films des critiques élogieuses. Je suis donc allé chercher le journal le lendemain de l'ouverture de Sorcerer dans deux cinémas à Los Angeles et deux à New York. [...] j'ouvre la page de sa critique, et elle commence comme ça : "Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ?" Et le reste a été dévastateur.
C'est à ce moment-là que j'ai su. Et puis le public a diminué, et Star Wars a ouvert ses portes et a attiré tout le public - c'était le seul film qu'il fallait voir cette année-là" commentait Friedkin. Et d'ajouter : "J'ai été extrêmement déçu, car je pensais honnêtement que c'était le meilleur film que j'ai jamais fait, et je ressens toujours cela".
Envie de découvrir cette merveille absolue ? Sorcerer a été édité dans une très belle version Director's Cut en DVD / Blu-ray en 2015, dans le sillage de sa ressortie en salle.
publié le 1 mars, Olivier Pallaruelo, Allociné