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Les Arènes : entre drame et thriller, un premier film très crédible sur le monde du football

© The Jokers Films

Premier long métrage réalisé par Camille Perton, "Les Arènes" nous plonge dans le milieu de football avec beaucoup de maîtrise et de crédibilité, pour raconter les rêves d'un jeune joueur prometteur.

Ça parle de quoi ?

À tout juste 18 ans, Brahim, jeune footballeur prometteur, est représenté par son agent et cousin Mehdi. Il s'apprête à réaliser son rêve : signer son premier contrat professionnel à Lyon. Mais l'arrivée d'un puissant agent étranger rebat les cartes. Dans cet univers où tous les coups sont permis, même la loyauté a un prix.

Rêver plus grand

Le football a la cote au cinéma en ce moment, et sous diverses formes, de la comédie populaire façon 4 zéros au thriller Mercato avec Jamel Debbouze, sorti en février dernier. Un long métrage dont se rapproche le premier film signé Camille Perton sur plusieurs aspects, et notamment la présence d'agents dans le récit. Au pluriel, car Les Arènes orchestre un pressing exercé sur un jeune joueur prometteur (Iliès Kadri) par deux hommes : son cousin Mehdi (Sofian Khammes), qui gère ses affaires depuis longtemps, et une grande figure venue de l'étranger (Edgar Ramirez), qui lui promet monts, merveilles et Ligue des Champions.

Famille vs capitalisme. Club de coeur vs ambition démesurée. Les oppositions sont classiques mais elles sont bien organisées par la réalisatrice, qui donne à son drame une ambiance de thriller (sans le moindre élément policier) et signe un film qui sonne juste à tous les niveaux. Y compris lors des quelques séquences de football, talon d'achille de la quasi-totalité des opus qui se déroulent dans le milieu, où la mise en scène ne parvient pas à retranscrire l'incertitude et l'imprévisibilité d'un vrai match.

Une réussite que Les Arènes doit en grande partie aux nombreuses recherches effectuées par sa cinéaste : "C'était d'autant plus stimulant que, plus jeune, j'hésitais entre le journalisme et le cinéma !", dit Camille Perton dans le dossier de presse. "Avec ce film, j'ai vraiment eu la sensation d'aborder l'écriture à la manière d'une investigation. Quand on creuse, on réalise que les portes ont plus tendance à se fermer qu'à s'ouvrir : le monde du foot n'a pas franchement intérêt à ce qu'on regarde ça de trop près."

"Le monde du foot n'a pas franchement intérêt à ce qu'on regarde ça de trop près"

"Je me suis donc beaucoup appuyée sur des enquêtes et reportages préexistants, comme les 'Football Leaks' publiés par Der Spiegel et Mediapart (il s'agit de la divulgation de plus de 18,6 millions de documents liés au fonctionnement des instances du football international, ayant mené à des scandales financiers et de corruption). J'ai rencontré des journalistes, notamment Yann Philippin qui a enquêté pour Mediapart sur le sujet, ainsi qu'un agent, un grand médecin du sport... C'était passionnant." Comme le résultat, qui s'intéresse non pas à l'ascension d'un jeune pro : "Je me suis plongée dans l'envers du décor en me concentrant sur les jeunes joueurs, ceux qui n'ont pas encore signé."

"On leur dit, quand ils rentrent en centre de formation, qu'ils n'ont droit qu'à un seul rêve, et que s'ils s'éparpillent, ils sont voués à l'échec. Je comprends l'idée d'un point de vue sportif, mais c'est destructeur : la plupart d'entre eux ne deviendront jamais pro. Et il se passe quoi, après, si ça ne fonctionne pas ? Là, j'ai senti que je tenais quelque chose." Quelque chose qui, on l'a vu plus haut, oscille entre le drame et le thriller, sans volonté de tomber à tout prix dans le genre : "J'ai fait le constat que le milieu était extrêmement permissif, pas vraiment encadré. Et comme l'argent coule à flots, il attire un maelström d'agents officieux, d'intermédiaires, de personnes aux statuts troubles... Milieux financiers, grand banditisme, politique, petit banditisme... Tout s'y mélange !"

"Cette collision fait naître des histoires, du romanesque, une dimension tragique et mafieuse. Ça m'a tout de suite happée. De fait, très vite, je me suis éloignée d'une approche trop réaliste. J'ai voulu introduire du cinéma de genre dans cet univers, investir ce milieu avec ma cinéphilie et mon imaginaire. Ça a été un vrai déclencheur, ça m'a libérée dans l'écriture : il devait y avoir une grande part de fiction, de fantasmes, de séduction exercée par ce milieu trouble. Je voulais mettre le spectateur et Brahim, au cœur du conflit que j'éprouve moi-même devant un bon match ou un bon film de gangster, un mélange d'attirance et de répulsion."

Citant le travail de Francis Ford Coppola et son chef opérateur Gordon Willis sur Le Parrain ("Les mafieux y sont très élégants, séducteurs"), la réalisatrice a passé trois mois au sein du centre de formation d'un grand club pour parfaire son approche et permettre aux néophytes de rattraper un peu de leur retard sur celles et ceux qui connaissent déjà les histoires de multi-propriétés et sont capables de vous citer des noms de joueurs qui ont quitté leur entité formatrice pour signer un contrat mirobolant sur lequel ils se sont finalement cassés les dents.

N'attendez d'ailleurs pas des Arènes qu'il suscite des vocations, tant il montre les joueurs comme des outils du capitalisme et, sans rejeter la fiction, développe une vision crédible de ce qui reste un beau vecteur d'ascension sociale tout autant qu'un gigantesque panier de crabes dans lequel tout le monde veut sa part du gâteau. "Le football est un jeu avant d'être un produit, un sport avant d'être un marché, un spectacle avant d'être un business", dit cette citation de Michel Platini qui ouvre le film, et ce dernier parvient à lier tous ces aspects.

publié le 7 mai, Maximilien Pierrette, Allociné

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