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"Les gens étaient mal à l'aise avec mon histoire" : ce film a pris neuf ans de travail et s'intéresse à un sujet tabou

© Shanna Besson

Pour son premier long métrage, "Cassandre", la réalisatrice Hélène Merlin raconte une histoire personnelle, celle d'une jeune fille victime d'inceste qui tente par tous les moyens de s'extirper de sa cellule familiale. Rencontre.

À l'été 1998, la France remporte la Coupe du monde, et Cassandre, 14 ans, vit des vacances qui vont changer le reste de sa vie. Dans sa famille, la nudité n'est pas un problème. Tout le monde se regarde et se touche. Aucun sujet ne semble tabou, si bien qu'une séance d'épilation peut se dérouler sur la table du salon devant le père et le frère. Pour elle, tout semble normal jusqu'à ce qu'elle entre en contact avec le monde extérieur.

Avec ce premier film, Cassandre, la scénariste et réalisatrice Hélène Merlin s'empare de la fiction pour raconter une partie de son histoire à travers l'héroïne incarnée par Billie Blain. Elle aborde, avec délicatesse et sensibilité, un sujet qui occupe une place de plus en plus importante dans les débats du quotidien : l'inceste.

La mécanique de la violence

"J'ai été confrontée de manière cyclique et répétée à des violences de types sexistes et sexuelles, révèle la cinéaste à AlloCiné. Je me suis demandée : "Pourquoi, de façon inconsciente, je me retrouve dans des situations de violence ? Je voulais interroger sur ce que la société, par son système, va provoquer. C'était important pour moi de me pencher sur mon histoire familiale, mon adolescence, pour comprendre ce qui s'est joué dans l'éducation que j'ai reçue et l'époque à laquelle j'ai grandi."

Cassandre démontre de façon précise le caractère héréditaire de la violence, comment elle se transmet de génération en génération. "Enfant, quand on ne reçoit pas d'empathie, on est comme empêché en tant que parents", ajoute la réalisatrice qui confie les rôles du père et de la mère à Eric Ruf de la Comédie-Française et Zabou Breitman, tous les deux inquiétants à l'écran.

Un phénomène de société

En 2024, le ministère des Solidarités révélait qu'un enfant était victime d'agression sexuelle toutes les 3 minutes en France. Dans le film, l'acteur Florian Lesieur interprète le rôle du frère, l'auteur des faits. Cassandre sort au cinéma après la publication de plusieurs livres majeurs sur l'inceste, comme La Familia grande de Camille Kouchner ou encore Triste Tigre de Neige Sinno.

Pour la cinéaste, qui a commencé à écrire son scénario en 2016, un an avant le mouvement MeToo, l'écriture a évolué à mesure que les victimes prenaient la parole dans la sphère médiatique : "Au début, les gens étaient très mal à l'aise avec mon histoire. Avec le temps, l'écoute s'est libérée. Je m'en suis bien rendue compte dans les commissions de financement, dans les entretiens, dans les rencontres avec les acteurs ou avec les producteurs. Il y a eu une maturation entre 2016 et aujourd'hui."

Beaucoup de références

Cassandre répond aussi à de véritables exigences cinématographiques. Très inspirée, la mise en scène d'Hélène Merlin trouve son origine vers le cinéma indépendant américain. La réalisatrice cite Mysterious Skin de Gregg Araki, Sweetie de Jane Campion, La Famille Tenenbaum de Wes Anderson ou encore l'univers de Todd Solondz comme de véritables points de repères artistiques.

En autopsiant un phénomène de société tel que l'inceste, la cinéaste souhaite s'inscrire dans "un courant de libération de la parole qui nous amène à mieux regarder notre monde en tant que citoyen". Cassandre a été projeté ce mardi 1er avril à l'Assemblée nationale, l'occasion d'échanger avec les députés sur le sujet. Hélène Merlin espère également montrer le film à des publics adolescents pour prolonger la conversation.

Lors de récentes projections et débats, la réalisatrice a déjà pu observer à quel point la jeunesse parvenait à s'emparer de ces questions avec un regard fin, "parfois beaucoup plus que les adultes".

Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 17 mars 2025.

Cassandre, actuellement au cinéma

publié le 2 avril, Thomas Desroches, Allociné

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