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Ni Les Affranchis ni Casino : pourquoi Disney a-t-il rendu ce film de Scorsese presque impossible à voir il y a 27 ans ?

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Ce long-métrage, réalisé par Martin Scorsese en 1997, n'est pas celui qu'on citerait en premier quand on parle du maestro. Cependant, il reste un excellent film qui mérite vraiment le coup d'oeil. Pourquoi a-t-il été mis au ban par Disney en 1998 ?

Quand on évoque le nom de Martin Scorsese, les premiers films qui nous viennent à l'esprit sont Les Affranchis, Taxi Driver, Casino, Shutter Island ou encore Le Loup de Wall Street. Parmi toutes les oeuvres réalisées par le maestro new-yorkais, il y en a une qui n'est que très rarement citée : Kundun.

Sorti en 1998 en France, le film retrace la jeunesse de Tenzin Gyatso, le 14ème Dalaï-Lama, de sa naissance dans une famille paysanne jusqu'à son exil en Inde, en 1959, après l'occupation du Tibet par les forces chinoises. À noter que le scénario a été écrit par une certaine Melissa Mathison, qui avait signé le script de E.T. de Steven Spielberg.

Un projet cher à Scorsese

Après les succès des Nerfs à vif et Casino, Martin Scorsese s'est attaqué à ce projet qui lui tenait à coeur, soutenu par Universal. Malheureusement, le studio a rétropédalé par peur de perdre le marché chinois en raison du caractère sulfureux du sujet du film ; en effet, le récit met en lumière une période sombre de l'Histoire de l'Empire du Milieu, l'invasion du Tibet en 1950.

Étonnamment, Michael Eisner, big boss de Disney entre 1984 et 2005, a racheté les droits du projet pour le distribuer à l'international. Il n'avait pas prévu la réaction scandalisée de la Chine lors de la sortie fin 1997, obligeant Disney à revoir ses plans de distribution et de marketing à la baisse. À l'époque, Eisner nourrissait des ambitions mondiales en matière de parcs d'attractions et ne souhaitait surtout pas se fâcher avec les autorités chinoises.

Dans le livre Zhu Rongji on the Record: The Road to Reform, publié en 2015 et cité dans Slashfilm, l'homme politique chinois Zhu Rongji évoque cet incident diplomatique. Selon lui, Michael Eisner a rencontré les dirigeants chinois dans l'optique de négocier l'implantation d'un parc d'attractions Disney dans le pays.

Très remontés, ces derniers lui ont reproché d'avoir insulté leur nation en soutenant une oeuvre qui critique violemment le régime en pointant du doigt les exactions commises lors de l'invasion du Tibet. Ils ont menacé d'interdire l'accès de Disney au marché chinois et le grand manitou de la firme voulait à tout prix éviter cela.

Le revirement de Michael Eisner

Michael Eisner, soucieux de ne pas se priver d'une potentielle manne financière colossale, a présenté ses excuses et évoqué "une erreur stupide". "La mauvaise nouvelle, c'est que le film a été réalisé ; la bonne nouvelle, c'est que personne ne l'a vu. Je tiens à m'excuser, et à l'avenir, nous devons empêcher que ce genre de chose, qui insulte nos amis, ne se reproduise", a-t-il déclaré, selon Zhu Rongji.

Michael Eisner aurait ainsi volontairement torpillé Kundun pour qu'il soit le moins visible possible dans le monde. Encore aujourd'hui, il est très compliqué de se le procurer en DVD ou Blu-ray et il n'est disponible sur aucune plateforme. Pourtant, sa dimension spirituelle, à la manière de La Dernière tentation du Christ ou Silence, fait de cette oeuvre un grand classique du répertoire de Scorsese.

In fine, la firme aux grandes oreilles s'est réconciliée avec le régime chinois et deux parcs Disneyland ouvriront leurs portes dans l'Empire du Milieu. Le premier à Hong-Kong en 2005 et le second à Shanghai en 2016.

Après la sortie du film, le gouvernement chinois a interdit à Martin Scorsese, la scénariste Melissa Mathison et plusieurs autres membres de l'équipe de production, d'entrer au Tibet. Lâché par Disney, Kundun a été un échec commercial cuisant, récoltant seulement 5 millions de dollars dans le monde pour un budget estimé à 28 millions. En France, il réunira tout de même 537 000 curieux.

Il se consolera grâce aux critiques et la reconnaissance des Oscars, avec 4 nominations en 1998 (Meilleurs décors, Meilleure musique, Meilleure photographie et Meilleurs costumes).

publié le 2 avril, Vincent Formica, Allociné

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