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Pedro Pascal + Dakota Johnson + Chris Evans : un trio glamour pour une comédie romantique intelligente, moderne et surprenante

© Sony Pictures Releasing France

Moins de deux ans après "Past Lives", Celine Song poursuit son exploration de la complexité des rapports amoureux avec "Materialists", comédie romantique aussi étonnante qu'intelligente, portée par un trio parfait et dont la réalisatrice nous parle.

En 2023, les cinéphiles du monde entier ont appris à connaître le nom de Celine Song, dramaturge américaine originaire de Corée du Sud passée avec brio à la réalisation avec Past Lives, histoire bouleversante d'un amour contrarié au long cours en partie inspirée de son propre vécu, et dans laquelle chacun pouvait projeter ses propres regrets et occasions manquées.

Une fin déchirante, deux nominations aux Oscars (Meilleur Film et Meilleur Scénario Original) et une poignée de citations dans divers tops de fin d'année plus tard, la réalisatrice et scénariste est déjà de retour. Avec un casting de stars (Dakota Johnson, Pedro Pascal et Chris Evans succèdent à Greta Lee et Teo Yoo), mais toujours cette volonté de parler de la complexité des rapports amoureux et d'aborder la comédie romantique avec une approche moderne.

Sorti le 2 juillet dans nos salles, Materialists suit une matchmakeuse ambitieuse (Dakota Johnson) qui se retrouve tiraillée entre un homme qui coche toutes les cases de ce qu'elle recherche (Pedro Pascal, dans le premier de ses trois films du mois) et son ex (Chris Evans), nettement moins idéal. Un pitch classique à première vue mais que Celine Song traite de manière intelligente et surprenante, en jouant avec les codes du genre. Et cela valait bien une discussion avec celle qui confirme être toujours aussi intéressante que ses longs métrages.

AlloCiné : À l'époque de "Past Lives", vous disiez qu'il était parti de quelque chose de personnel pour vous. Donc je me suis forcément demandé, en voyant "Materialists", si c'était aussi le cas ici et comment ?

Celine Song : (rires) Bien sûr ! Je pense qu'à partir du moment où vous racontez une histoire humaine sur le quotidien et cette chose très extraordinaire que nous avons la chance de faire dans nos vies qui est d'aimer quelqu'un, il y aura toujours une part personnelle. Et ce film m'a été inspiré par la période où, dans ma vingtaine, j'ai travaillé comme matchmakeuse. Je l'ai été pendant six mois, c'était très court. Mais je le faisais comme un travail alimentaire parce que j'étais dramaturge, que je ne pouvais pas payer mon loyer à New York, et que j'avais besoin d'un travail pour le faire. Donc, j'ai fait ça pendant environ six mois, et je pense que j'en ai plus appris sur les êtres humains pendant cette période que pendant n'importe quelle autre partie de ma vie.

Les gens sont très honnêtes avec une matchmakeuse. Plus honnêtes qu'ils ne le sont, je pense, avec leurs thérapeutes. Avec ces derniers, comme leurs discussions concernent des problèmes psychologiques, il y a une manière de présenter les choses qui n'est pas aussi littérale et matérielle que quand on dit : "Je veux ce genre de petit ami" ou "Je veux cette petite amie".

À quel moment cette époque de votre vie est revenue sur la table pour être incluse dans un film ?

Quand je faisais ce travail. À un moment donné, j'ai réalisé que je voulais vraiment écrire quelque chose sur ce sujet, surtout que je venais de me marier. Donc je connaissais la manière dont nous parlions, avec mes clients, des rencontres : a priori, c'est un jeu auquel nous jouons pour trouver l'amour, n'est-ce pas ? Mais quand on parle de ce qui compte le plus pour les gens dans ces rencontres, j'ai appris que c'était le travail, la taille, le poids, le revenu, l'âge. Ils me parlaient de ces choses, de tous ces chiffres, alors qu'il y a une chose que je savais être très vraie à propos de l'amour, c'est que ce n'est tout simplement pas quantifiable. L'amour n'est pas une chose quantifiable.

Je crois que j'ai toujours été intéressée par ça, et aujourd'hui je suis curieuse de voir comment le public français va recevoir Materialists, car le sujet de l'amour est très central dans votre cinéma. Il y est souvent question d'amants.

"Aujourd'hui, les films romantiques ne sont plus vraiment faits pour le grand écran aux États-Unis"

Dans les films de la Nouvelle Vague notamment.

Oui, surtout dans la Nouvelle Vague. Et il y a quelque chose à prendre en compte, c'est qu'aujourd'hui, les films romantiques ne sont plus vraiment faits pour le grand écran aux États-Unis. Et encore moins s'il s'agit d'un film original classé R [interdit aux moins de 17 ans non accompagnés par un adulte, ndlr] (rires) Pour le grand public commercial qui va au cinéma, nous sommes en quelque sorte les seuls à faire cela aujourd'hui. Materialists est le seul film de ce genre aux États-Unis, alors qu'en France, c'est ça le cinéma.

Effectivement, et c'est sans doute pour cette raison que le projet puis la bande-annonce de "Materialists" ont suscité un tel enthousiasme ici, car il y avait cette sensation de voir un film venu du passé.

Tout à fait, parce que vous avez un lien avec la comédie romantique et son histoire à travers le temps. Les films qui m'ont le plus inspirée sont assez anciens d'ailleurs : ceux de Billy Wilder, Nora Ephron ou James L. Brooks, qui faisaient un grand cinéma de sentiments sur la vie de tous les jours et l'amour au quotidien. C'est cette approche que j'ai voulu reproduire, en l'adaptant à 2025, car les choses ont changé.

Je me demandais justement quel était votre rapport à la comédie romantique, dans le sens hollywoodien du terme en tout cas. Quand on regarde vos films, vous semblez l'aimer tout en cherchant à aller à l'encontre de ses codes pour l'aborder de façon plus moderne, et c'est ce que vous semblez confirmer en parlant de l'adapter à 2025.

C'est lié aux films que j'ai toujours aimés, car c'est grâce à eux que l'on apprend à être cinéaste et raconter des histoires. C'est vers les histoires dont je suis d'abord tombée amoureuse que je vais revenir, et la première question à se poser, à ce moment, c'est de se demander comment on peut contribuer au genre. Chercher ce qui a du sens, la manière la plus appropriée d'évoquer les rencontres et l'amour dans le New York de 2025. Il y a comme une urgence, car on se dit que les choses sont ainsi en ce moment, et qu'elles méritent qu'on en parle.

Je respecte la comédie romantique en tant que genre, car c'est une invitation pour le public à venir dans une salle de cinéma et s'asseoir pendant deux heures pour simplement penser à l'amour. Parler d'amour, puis voir de belles personnes être amoureuses, c'est une chose incroyable. Mais mes comédies romantiques préférées sont celles qui se saisissent de cette occasion pour parler de quelque chose qui compte pour les cinéastes qui les ont faites.

Vous semblez même dire, dans "Materialists", que les comédies romantiques nous ont donné de fausses idées sur l'amour.

Bien sûr ! Je trouve ça drôle que l'amour de votre vie se trouve, comme par hasard, avoir le meilleur boulot du monde en étant jouée par l'une des plus belles stars de la planète...

Comme Matthew McConaughey à une époque.

Exactement ! Et c'est vraiment drôle de voir que ces choses traitées de la sorte, alors qu'on se dit qu'une partie de ce qui les rend si puissants, en réalité, une partie de la raison pour laquelle on veut être avec eux est vraiment liée à tout le reste. Et cela renvoie aussi, en-dehors du cinéma, à Jane Austen ou Edith Wharton par exemple : il y a bien sûr des éléments qui concernent le côté matériel de la vie, la façon dont nous devons réellement assurer notre avenir, parce que c'est de ça dont parlent ces livres, d'élévation sociale.

Mais il est aussi question du vieillissement. "Que va-t-il se passer quand nous aurons 60 ans et que nous serons seuls parce que nous nous sommes mal mariés ?", doivent se demander les personnages (rires) C'est un enjeu très important ! Quand vous lisez "Orgueil et Préjugés", l'une des plus grandes histoires d'amour de tous les temps, nous apprenons dès la première page combien gagnent tous les célibataires. Et chaque page est si incroyablement matérialiste, mais d'une manière rafraîchissante, sur ce que chacun coûte et vaut, pourquoi certaines femmes ont plus de valeur que d'autres.

Alors que tous ces personnages en corset, les femmes, se battent vraiment pour LA chose qui est dans mon film, à savoir : "Je ne suis pas une marchandise, je suis une personne." C'est littéralement ce que veut Liz Bennet dans "Orgueil et Préjugés" ! Elle dit : "Je ne suis pas une marchandise. Je ne suis pas juste là pour être vendue. Je suis une personne." C'est ce pour quoi elle se bat. Les références sont aussi là, dans le sens où il a souvent été vrai que, pendant longtemps, la seule décision qu'une femme pouvait prendre pour son destin, pour le reste de sa vie, était de choisir quel homme épouser.

"Il y a une marchandisation sans fin de ce que nous sommes"

Aujourd'hui, en 2025, les femmes ont tellement d'autres options incroyables et merveilleuses. Vous n'avez pas à vous marier, vous pouvez épouser une femme, vous pouvez faire ce que vous voulez à un certain niveau. Et vous pouvez gagner plus d'argent que les hommes. Vous pouvez faire tellement de choses incroyables grâce au travail des ancêtres féministes, donc on a l'impression que ça s'est beaucoup amélioré, et cela signifie qu'une femme a plus de choix maintenant. Mais d'un autre côté, il y a une chose qui plus difficile : dans les romans de Jane Austen, le marché du mariage se déroule dans de petites villes, alors qu'aujourd'hui il se déroule sur Google.

C'est un marché mondial qui est dans votre téléphone, où nous sommes tous traités comme des marchandises et nous nous traitons les uns les autres comme des marchandise. Il y a une marchandisation sans fin de ce que nous sommes. En plus de sujets qui deviennent un peu plus effrayantes avec le temps : "Tu devrais aller à la salle de sport, tu devrais investir dans ton corps..." Il y a toute une conversation autour de la façon de se rendre plus précieux sur ce marché des valeurs sur la manière de devenir une meilleure marchandise, qui conduit souvent à la question : "Pourquoi tu ne te fais pas de Botox ? Tout le monde investit dans son visage. Pourquoi tu ne te fais pas de Botox ?"

Je pense que cela commence à devenir une situation où toute marchandisation des êtres humains va conduire à la déshumanisation, et c'est la chose la plus insidieuse à propos du fait de nous transformer en chiffres : cela va effacer ce qui fait de nous des êtres humains, des personnes. C'est déjà ce que disait Liz Bennet, et c'est aussi ce que nous devons continuer à dire parce que maintenant, la marchandisation est juste plus rapide et plus facile. Ce n'est pas que ça n'a pas existé avant, non. Cela continue d'exister de cette façon, mais c'est juste plus facile maintenant parce qu'il suffit d'ouvrir Tinder. Vous n'avez plus besoin d'aller à un événement pour rivaliser avec six autres femmes : aujourd'hui vous êtes en compétition avec le monde entier sur le marché du mariage.

Vous utilisez le mot "déshumanisation", et cela rejoint ce que j'aime dans le film : cette manière qu'il a de renvoyer à la société en général quand il parle d'investir. Au fait que nous ne voulons pas être des marchandises, mais pas seulement en amour, dans notre travail ou notre vie quotidienne aussi. D'où le titre, "Materialists".

(rires) Oui, et c'est le petit secret du film justement. Il se présente comme une invitation à passer du temps avec des belles personnes qui parlent de belles choses, mais j'ai l'impression qu'il dit ensuite : "Maintenant que nous sommes tous là, si on se parlait pour de vrai ?" Il y a cette idée de parler de ce que les rencontres font et de comment elles sont, de comment nous sommes censés, en utilisant tous ces chiffres, atteindre ce qui est ce mystère très ancien et une chose impossible à contrôler, alors qu'on nous demande régulièrement, en tant que personnes modernes, de nous contrôler, de contrôler les choses. Il y a un tel désir de s'y accrocher, et c'est pourquoi toutes ces applications de rencontre utilisent des algorithmes, car leurs créateurs pensent qu'ils vont peut-être résoudre le problème de l'amour.

Mais nous savons tous que nous ne pouvons pas.

Non, nous ne le pouvons pas. Ce n'est pas possible. J'aimerais que ce soit le cas pour que toutes ces ressources investies ne soient pas gaspillées, mais je connais la vérité qui est que - et je pense que nous la connaissons tous à commencer par le public français - il n'y a absolument aucune réponse à cela. Par conséquent, je pense qu'il y a un infinité de possibilités, et c'est pourquoi c'est un sujet si puissant pour chaque histoire, et pour le cinéma, parce qu'on se dit que ce mystère ne sera jamais résolu.

Vous avez parlé d'un film qui invite "à passer du temps avec des belles personnes" : j'imagine qu'avoir des stars au casting était vital pour le projet, parce qu'il vous fallait des belles personnes et ce que leur aura véhicule pour un film sur les apparences ?

C'est intéressant comme idée. Il se trouve que beaucoup d'acteurs et d'actrices sont très beaux : dans la mesure où nous devons accepter de les voir sur un grand écran, il faut que ce soit les personnes les plus photogéniques de la planète. Il n'y a rien d'exceptionnel là-dedans, ils sont juste très beaux. Mais, dans le cas de Materialists, il était surtout question de ce que ces trois acteurs et actrice comprenaient du film. Or qui peut mieux comprendre cette idée de ne pas être vu comme une marchandise mais comme une personne que Captain America et le Mandalorian ? Ou Anastasia Steele de Cinquante Nuances de Grey.

Quelque chose fait que mes trois interprètes comprennent vraiment ce que c'est que d'être traité comme une marchandise. Et c'est le cas de la plupart des comédiens et des personnalités publiques, même de moi. Tout le monde peut se sentir traité comme une marchandise, surtout quand on exposé. Même dans votre travail, je suis sûre que vous ressentez parfois cette sensation de n'être vu que comme une marchandise. Dakota, Chris et Pedro le comprennent aussi et le ressentent au plus profond de leur âme.

Leur façon de réagir au scénario et de vouloir travailler sur le film avec moi est liée à leur propre expérience. À cette façon dont ils sont tiraillés entre leur amour pour leur travail, leur passion et l'investissement auquel ils ont consenti durant toute leur carrière et le fait de ne parfois pas être traité comme une personne. J'ai toujours fait en sorte que ce ne soit pas le cas avec moi, qu'ils puissent jouer des personnages qui sont des personnes.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 23 juin 2025

publié le 2 juillet, Maximilien Pierrette, Allociné

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