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Un couple d'espions face à la trahison : non, The Insider n'est pas le nouveau Mr and Mrs Smith, mais un film très étonnant et intelligent

© Universal Pictures International France

Un mois après "Presence" et les fantômes, Steven Soderbergh joue avec les codes de l'espionnage dans "The Insider", histoire de trahison qui lui sert de prétexte pour parler du couple. Et il le fait encore très bien.

Ça parle de quoi ?

The Insider est un film d'espionnage haletant qui raconte l'histoire d'un couple d'agents secrets, George Woodhouse et sa femme Kathryn. Lorsque Kathryn est soupçonnée de trahison envers la nation, George doit faire face à un dilemme déchirant : protéger son mariage ou défendre son pays.

Sexe, mensonges et vidéo-surveillance

On ne l'avait pas revu dans les salles obscures françaises depuis Paranoïa, en juillet 2018, et voilà que Steven Soderbergh nous offre deux longs métrages coup sur coup en ce début d'année 2025. Le réalisateur américain, dont la retraite annoncée en 2013 n'avait finalement duré que quatre ans, n'était pas resté inactif pendant cette période, bien au contraire, mais ses films faisaient l'impasse sur nos cinémas. Jusqu'à aujourd'hui, en espérant que cela dure.

Un mois après Presence, histoire de fantôme filmée du point de vue de l'entité, voici The Insider. Également écrit par David Koepp, cet opus paraît, au premier abord, plus classique, avec sa narration moins expérimentale et cette intrigue sur fond d'espionnage, dans laquelle un agent secret britannique découvre que sa femme et collègue fait partie des suspects dans une affaire de trahison. Un Mr and Mrs Smith à la sauce Steven Soderbergh, en somme, sur le papier et dans la bande-annonce.

Sauf que, comme souvent chez le cinéaste (et encore plus dans un univers peuplé d'espions), les apparences sont trompeuses, lui qui aime s'emparer des codes d'un genre pour les détourner et les mettre au service de son sujet de prédilection : les relations amoureuses. Rebaptisé The Insider en France, alors que les anglo-saxons le découvriront sous le titre Black Bag (équivalent de "Secret défense", carte que les personnages abattent quand ils ne peuvent révéler une information à un partenaire), le long métrage aurait ainsi pu s'appeler Sexe, mensonges et vidéo-surveillance, en référence au premier opus (palmé à Cannes) de son auteur.

Un coup d'essai avec lequel The Insider partage quelques points communs, lui qui dialogue également avec Presence (dans sa façon d'être autre chose que ce que l'on attend de lui), Piégée (déjà avec Michael Fassbender, des espions et ce thème central), The Good German (son hommage à Casablanca avec Cate Blanchett) ou même le polar romantique Hors d'atteinte. Il y a bien sûr des armes à feu, des interrogatoires, des filatures et des coups de théâtre, mais ce ne sont que des accessoires dans le décor que le réalisateur érige autour de son vrai sujet.

Le cœur de l'intrigue n'est d'ailleurs qu'un MacGuffin, terme popularisé par Alfred Hitchcock pour désigner ce prétexte qui sert à faire avancer l'action pour finalement devenir secondaire et dont la mystérieuse Patte de Lapin de Mission : Impossible III est l'un des exemples les plus marquants : la potentielle trahison de Kathryn que George redoute le plus n'est pas tant envers la nation que lui-même. Et c'est là que The Insider se mue en un drame sur fond de crise de couple, dans un monde où les secrets et mensonges font partie du quotidien.

Ces informations protégées par le joker "black bag", dans un univers où réussir à ne pas dire la vérité sans faire bouger son rythme cardiaque est un atout maître, alors que se pose aussi la question de ces choses qu'il vaut mieux laisser sous le tapis dans les couples. Notez bien le pluriel, qui apparaît très vite : dès la première partie en forme de huis-clos, un dîner à six espions (avec également Régé-Jean Page, Marisa Abela, Naomie Harris et Tom Burke, tous impeccables), qui vire au règlement de comptes et où le thème de la jalousie commence à se diffuser, de façon plus large que prévu, pour planer sur le récit jusqu'à son dénouement.

My name is (not) Bond

Car l'intrigue policière sera résolue et, si vous venez pour la partie espionnage, vous ne serez pas lésés, sauf si vous attendez de The Insider qu'il possède son lot de courses-poursuites et autres explosions aux quatre coins du globe, comme un épisode de la saga James Bond à laquelle on pense forcément lorsque Pierce Brosnan apparaît à l'écran. A l'image de sa durée réduite (moins de 95 minutes, générique de fin compris), le long métrage paraît ramassé et intimiste, à l'échelle du genre dans lequel il s'inscrit.

Efficace et élégant dès sa scène d'ouverture qui donne le ton (un plan-séquence qui suit Michael Fassbender jusqu'à l'extérieur d'une boîte de nuit, comme pour nous sortir des lieux classiques des récits d'espionnage au cinéma), The Insider n'en reste pas moins surprenant et captivant. Fascinant même, dans la manière qu'à le spectateur de se mettre à la place des personnages, qu'il soit agent secret ou non, dans cette histoire de confiance et de tromperie.

Et c'est aussi un beau rappel de ce qui fait de Steven Soderbergh un auteur, quand bien même il n'a pas écrit le scénario, et l'un des réalisateurs américains les plus intéressants, capable de se renouveler sur la forme pour mieux enrichir le fond de son œuvre foisonnante. A voir la manière dont Presence et The Insider se répondent, en plus de briller séparément, nous rend encore plus heureux qu'il ait vite renoncé à sa retraite. En espérant que ses prochains films sortent dans nos salles, et qu'ils soient aussi réussis.

publié le 12 mars, Maximilien Pierrette, Allociné

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