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"Un film à la force incroyable" : ce chef-d'oeuvre absolu tiré d'une histoire vraie est le modèle de l'un des plus grands thrillers de ces 20 dernières années

© The Jokers Films

Sorti en 1979, porté par la magistrale composition de l'acteur Ken Ogata qui semble comme possédé par son personnage, "La Vengeance est à moi" est un immense film, dont l'influence a profondément marqué le cinéaste sud-coréen Bong Joon Ho.

Le cinéaste japonais Shohei Immamura fut l'un des plus importants réalisateurs de ce que l'on a appelé la Nuberu Bagu, c'est-à-dire la Nouvelle Vague japonaise. Ses oeuvres sombres ont bien souvent déstabilisées les spectateurs, en explorant et exposant l'oppression dans la société, à travers une galerie de personnages qui étaient souvent des pauvres, des criminels, des rebus de la société, des proxénètes, des vendeurs au noir.

En 1968, il sort dévasté du cuisant échec de son film Le Profond désir des dieux, une fresque de près de 3h, en plus de se retrouver criblé de dettes à l'issue de ce désastre. Pendant dix ans, Shohei Immamura ne se consacre plus qu'au documentaire; une parenthèse qui finit par déboucher sur un nouveau film sorti en 1979, et qui est un chef-d'oeuvre absolu : La Vengeance est à moi. Non seulement le film scellera ses retrouvailles avec le public, mais son grand succès lui permettra même de rembourser ses créanciers.

Ivre de vengeance

Le scénario, lui-même basé sur un roman écrit par Ryuzo Saki, est inspiré d'une histoire atroce et surtout parfaitement authentique, survenue au Japon au début des années 1960. En octobre 1963, la police découvre les cadavres de deux collecteurs de taxes dans la campagne. Le suspect est l'un de leurs collègues : Iwao Enokizu, un escroc plusieurs fois condamné.

Réfugié dans une auberge d'Hamatsu, Enokizu se fait passer pour un professeur d'université et poursuit ses méfaits alors que son portrait est affiché dans tout le Japon. Apprenant que la patronne de l'auberge, devenue sa maîtresse, est enceinte, il la supprime ainsi que sa mère. Dénoncé par une prostituée, il est finalement arrêté en janvier 1964 et condamné à mort.

Portant un regard d'entomologiste sur ses personnages, sans jamais les juger ni administrer une quelconque leçon de morale, Shohei Immamura livre un film extraordinaire, porté par la composition d'un fabuleux et glaçant Ken Ogata, qui semble littéralement possédé par son personnage.

Un immense acteur que Immamura retrouvera pour La Ballade de Narayama, Palme d'or à Cannes en 1983. Et surtout un époustouflant Mishima chez Paul Schrader en 1985; biopic évoquant la vie du célèbre écrivain japonais Yukio Mishima qui se fit seppuku en novembre 1970.

"Ceux qui aiment le cinéma trouveront ce film essentiel"

La Vengeance est à moi a eu un fort impact chez le réalisateur sud-coréen Bong Joon Ho, qui n'a jamais caché l'influence prépondérante du film de Imamura sur son chef-d'oeuvre Memories of Murder; un des plus grands thrillers des années 2000.

C'était aussi l'un des films préférés du regretté et très cinéphile William Friedkin. "Ce film diffère du style formel des grands cinéastes japonais comme Ozu, dont Imamura était l'assistant. Lorsqu'Imamura s'est lancé dans la réalisation, il a voulu faire des films aussi différents que possible de ceux d'Ozu, et La Vengeance est à moi en est le meilleur exemple" confiait-il à l'éditeur Criterion.

Il laisse au spectateur le soin de juger ses personnages, et le film est à la fois opératique et contemporain. Magnifiquement photographié, il est tantôt surréaliste, tantôt documentaire, ce que certains spectateurs ont trouvé déroutant, notamment en raison de la fragmentation de la chronologie opérée par Imamura. Ceux qui aiment le cinéma et connaissent les autres films d'Imamura, comme L'anguille et La ballade de Narayama, trouveront celui-ci essentiel".

Vous n'avez encore jamais vu cette merveille ? Elle a récemment été éditée dans une très belle copie Blu-Ray chez The Jokers.

publié le 15 juin, Olivier Pallaruelo, Allociné

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