"On est vraiment dans de la téléréalité" : Des psychologues dénoncent "la mise en scène" de l'émission de France 2 "Rendez-vous chez le psy" et saisissent l'Arcom
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France 2 proposait cette semaine dans "Rendez-vous chez le psy" une plongée inédite dans de vraies séances de thérapie. Associations et praticiens dénoncent une "trahison du secret professionnel" et alertent l'Arcom sur les dérives du programme.
"Rendez-vous chez le psy" à retrouver sur France 2 du lundi 6 au jeudi 9 octobre. - © Warner Bros/ © Nathalie GUYON - France télévisions
Cette semaine, France Télévisions mise sur un format inédit. Dans "Rendez-vous chez le psy", diffusé de lundi après-midi à ce jeudi après-midi sur France 2, des patients acceptent d'être filmés durant de véritables séances avec quatre psychologues expérimentés. Le dispositif, présenté comme "authentique", repose sur des caméras dissimulées dans un décor reconstituant un cabinet chic, inspiré de la série "En thérapie". À l'écran, six personnes livrent leur intimité - un deuil, un rejet familial, une fausse couche - devant les caméras. La promesse est claire : montrer "sans filtre" ce qui se passe derrière les portes d'un cabinet de psychologue.
"On a l'impression de regarder une émission de type 'Top Chef'"Sur le papier, l'idée séduit : normaliser la consultation, lever les tabous et s'inscrire dans la "grande cause nationale 2025" consacrée à la santé mentale. Mais à l'épreuve des images, de nombreux psychologues expriment leur malaise. "Ce n'est ni un magazine, ni un documentaire, on a plutôt l'impression de regarder une émission de type 'Top Chef'", déplore Gladys Mondière, présidente de la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) auprès du "Parisien". "Sauf que la psychologie ce n'est pas de la cuisine, même si les professionnels qui ont accepté de participer sont des gens reconnus et sérieux."
Même inquiétude du côté du Mouvement des psychologues cliniciens et psychologues psychothérapeutes (M3P). Son codirigeant Cyrille Le Jamtel parle d'un dispositif qui "interpelle" : "Ce qui nous interpelle c'est la mise en scène, on est vraiment dans de la téléréalité. Le programme est tourné dans un studio et il y a un montage. Ensuite, on a demandé aux participants de jouer par exemple à se promener dans la rue ou regarder par la fenêtre." Une scénarisation assumée par la production, mais qui choque des praticiens attachés à la neutralité du cadre thérapeutique.
Au-delà de l'effet "spectacle", c'est l'éthique même de la démarche qui interroge. "Notre profession est soumise au secret, c'est fondamental. Ici les personnes ne sont pas floutées ni même anonymisées comme on peut parfois le voir dans des documentaires sur notre métier", insiste Gladys Mondière. Florent Langlois, clinicien à Reims et membre du Printemps de la psychiatrie, se dit "sidéré" par le programme : "Consulter un psychologue c'est accéder à un espace préservé et sécurisé pour s'exprimer. Ici, on fragilise ce cadre." Pour lui, l'exposition médiatique pourrait avoir des conséquences sur le long terme pour les patients.
Le M3P dénonce un non-respect du code de déontologie et a saisi l'Arcom, sans réponse pour l'heure. Si les patients ont donné leur consentement et sont encadrés, de nombreux professionnels rappellent que l'absence d'un ordre des psychologues en France rend leur protection encore plus fragile.
De plus, le décor luxueux renforce un biais : "Nous n'exerçons pas tous dans un bel immeuble haussmannien des beaux quartiers de Paris", s'indigne Gladys Mondière depuis son cabinet de Lille. "Il y a des collègues qui vont dans les campagnes avec un petit camion, d'autres qui travaillent auprès de personnes précaires. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de représenter le métier de psychologue de cette façon si on veut inciter les Français de tout milieu à pousser les portes de nos cabinets."
La production, elle, défend sa démarche, également auprès du "Parisien". "Respecter le cadre thérapeutique signifie être le plus discret possible. Cela veut dire aucune intervention, pas d'oreillette. Le psy mène sa séance comme il le souhaite du début jusqu'à la fin", assure Renaud Rahar, directeur des programmes chez Warner Bros. Audrey Briand, productrice artistique, reconnaît s'attendre à des critiques mais revendique un "pari nécessaire" : "Si on peut créer de l'empathie, inciter les gens à pousser la porte, on aura gagné."
publié le 9 octobre, Bruna Fernandez , Puremédias